Mythes de bureau
Quand nos idées reçues sur le travail ont la vie dure
Le droit à la déconnexion existe. Mais dans bien des entreprises, il reste une illusion balayée par des attentes tacites et des injonctions invisibles.
Quand la loi promet la déconnexion
Tout partait si bien. En 2016, la Loi Travail consacrait un droit à la déconnexion pour tous les salariés (article L2242-17 du Code du travail). Pas de mails nocturnes, pas d’appels pendant les vacances, pas de messages WhatsApp le dimanche. Un droit renforcé en 2020 par l'Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le télétravail, qui précise que "le salarié n'a pas l'obligation de répondre aux sollicitations de l'employeur" hors temps de travail.
En théorie, l'arsenal juridique semble suffisamment complet et robuste pour que les collaborateurs et collaboratrices se sentent libres de déconnecter. Mais c'est oublier un peu vite qu'entre un texte de loi et son application quotidienne se glisse une réalité bien plus complexe, faite d'habitudes et parfois de pressions implicites. Pour beaucoup d’entre nous, le smartphone est devenu la “laisse” électronique qui nous relie en permanence au bureau, transformant chaque notification en rappel sourd de nos obligations professionnelles. Comme si les outils numériques avaient créé un espace-temps professionnel élastique qui s'étire sans fin et s'invite dans nos moments les plus intimes. Et c’est là que le bât blesse : entre le droit inscrit dans les textes et la réalité vécue par des millions de salariés, s'est creusé un gouffre béant. Un gouffre où les repas de famille, les jeux d'enfants et les vacances au soleil se retrouvent rattrapés par une vibration de téléphone, un mail en attente, une urgence présumée.
Le vrai problème n’est pas juridique mais culturel
20h47, plage de Bretagne : arrivée d’une notification. Et si c'était vraiment important ? Et si ne pas répondre compromettait le projet ? Des peurs qui poussent les collaborateurs à rester connectés entre deux cocktails rafraîchissants. Cette hyperconnexion, 31 % des salariés français y sont exposés selon le Référentiel annuel de l’Observatoire de l’Infobésité et de la Collaboration Numérique (OICN). Les raisons sont multiples. Ils restent branchés pendant leurs congés par crainte de manquer une information essentielle (le fameux Fomo). Pour d’autres, c’est par peur d'être mal perçus. Comme si ne pas répondre pendant les jours off était un signe de désengagement, ou pire, un manque de respect. N’oublions pas non plus que le mécanisme est également pervers : les notifications déclenchent un pic de dopamine auquel notre cerveau devient accro. Alors oui, des solutions existent pour que le droit à la déconnexion ne reste pas lettre morte, mais devienne un réflexe collectif. Les entreprises de plus de 50 salariés ont d’ailleurs l'obligation d'en définir les modalités et de mettre en place des dispositifs de régulation. Mais dans les faits, qu'attendons-nous vraiment ? Qu'attendons-nous pour déconnecter nos applications ? Pour bloquer nos notifications ? Pour retrouver, enfin, le droit fondamental de ne rien faire sans culpabiliser ? Toutes ces questions ne font que gratter la surface. Car la vraie question est ailleurs.
Comment se sentir légitime à décrocher quand la culture d'entreprise encourage la surconnexion ? Comment résister quand le réflexe de l'urgence est ancré jusque dans nos habitudes les plus anodines ? Le problème n'est pas technique, il est culturel. Et tant que les mentalités et les pratiques collectives n’évolueront pas, le droit à la déconnexion restera une promesse sans lendemain.

Rédactrice
Ancienne juriste et RH, Sonia n’a jamais tourné le dos à l’entreprise… même si son rêve était d’écrire des scénarios pour le cinéma. Aujourd’hui…
Mythes de bureau
Préjugés, idées reçues, on-dit : le lieu où l’on travaille est un théâtre de « vérités » qui influencent nos manières de travailler et de vivre ensemble. Mais rien n’est tout blanc ou tout noir. Mythes de bureau apporte de la nuance là où il n’y en a pas toujours. Une manière de prendre de la hauteur sur nos comportements et nos croyances.